samedi 24 octobre 2015

De vieux amis en Laponie



Les six articles qui suivront vous conteront mon voyage de six jours en Finlande, rapidement à Helsinki puis en Laponie. Si le voyage solitaire me procure un bonheur certain, un sentiment de liberté peu commun, je suis cette fois accompagné de Marion, amie de longue date maintenant. En effet, si on s’intéresse à l’origine de ce voyage, il nous faut remonter à 2010 et le début de la classe préparatoire. C’est dans la charmante et agréable ville de Nantes que je rencontre Marion, fraichement débarquée de Vendée dans la capitale de l’Ouest, quittant la campagne (dont je pourrais aisément décrire les qualités #BremSurMer) pour venir à la ville. Après deux ans de prépa bien marrante (eh oui !), c’est par un concours de circonstances improbable (pléonasme volontaire) que nous intégrons tous les deux l’EMLYON. On rempile donc sur trois années à se côtoyer, parfois éloignés par ces études certes communes. En parlant de ces dernières, elles nous entrainent en ce moment même en échange à Copenhague pour sa part, à Oslo pour la mienne.

Marion rêve depuis toute petite de voir la Laponie, faire du chien de traîneau et voir les aurores boréales. Voilà somme toute des rêves sains. Face à la proximité géographique de sa position actuelle, elle lance un appel au voyage collectif sur le mur Facebook (bientôt du langage commun) de notre promotion de classe préparatoire. Nous avons tous gardés contact après deux années de prépa, comme je l’ai précédemment fait remarquer, marrantes mais surtout marquantes. Malheureusement, le manque de réactivité, la distance, les indisponibilités professionnelles et étudiantes empêchent onze des treize membres du groupe de répondre à l’appel. Etant en Norvège, toujours ouvert à un nouveau voyage, je mets vite un petit jeton sur l’opportunité.

Tout lecteur attentif et scrupuleux, maintenant averti, aura compris que la finalité était un voyage entre vieux amis de prépa. Mais les circonstances ont entrainé des retrouvailles entre Marion et moi. Et c’était un véritable plaisir. Face à l’aspect métaphorique, féérique et symbolique de la région (aurores boréales, rennes, Père Noël, chiens de traineau, cercle polaire arctique), le lecteur indélicat serait tenté d’y voir de la romance, qu’il ne se fourvoie pas, il n’y avait rien de romantique ni de vaguement passionnel, si ce n’est un respect commun. Nous partageons en effet une certaine philosophie de vie, que vous pourriez décrire comme du Carpe Diem, ou du Hakuna Matata pour les moins érudits, voire encore du balaiscouille pour Claude Makelele (orthographe servant le propos). Il en découle une inclination commune à prendre des décisions rapidement et unanimement avec la certitude qu’elles sont justes et pour le mieux. Le tout débouchant sur une satisfaction générale quant à l’occupation du temps et de l’espace.

MARION


 

Before sunset



« Je suis ailleurs mais où est-ce d’ailleurs », les plus vifs d’entre vous, connaisseurs émérites d’Etienne Daho, auront vu la référence à la chanson Bleu comme toi. C’est sur ces paroles que s’ouvre mon voyage en Finlande. Les départs en voyage, que ce soit pour le plaisir ou pour le travail, me procurent toujours une immense joie qu’il me serait difficile de vous décrire. Pour essayer de comprendre cette joie profonde, il est peut-être utile, en réalité nécessaire, de jeter un regard sur mon quotidien. J’ai une fâcheuse tendance à rythmer ma vie autour d’événements, d’actes, de manies, d’habitudes, que je répète machinalement chaque jour, m’enfonçant inéluctablement, consciemment et volontairement dans une routine que je chérie. Partir m’arrache à l’emprise de cette banalité et ouvre mon cœur et mon esprit à de nouveaux horizons et de nouvelles rencontres. Je fais également toujours en sorte de clôturer le plus de chapitres de ma vie (professionnels, administratifs, émotionnels…) avant de partir afin de m’en aller le cœur léger et l’esprit libre. Vous comprenez maintenant mieux ma profonde affection pour les départs en voyage. A ce sujet, Jacques Brel ne disait-il pas dans une interview : « un homme normal rêve de foutre le camp ».

Ceux qui ont lu le récit de mon voyage dans les fjords norvégiens savent que j’étais parti à l’aube. Aujourd’hui, au rythme de « Duel au soleil », d’ATN DAO comme j’aime le surnommer (accent anglais nécessaire), je me retire aux lumières du crépuscule. Il est 18h30 et je décampe. A mesure que le métro puis le train me conduisent à l’aéroport, je peux admirer le ciel changer lentement de couleur. On parle beaucoup des aurores boréales ici dans les pays nordiques (et j’espère en voir en Laponie) mais ces rois de la nuit ont des princes que sont les couchers de soleil. A Oslo, ces princes, drapés de manteaux de couleurs pourpres, sont magnifiques et récurrents. Du fait d’une pollution réduite à son minimum pour une ville de 620 000 habitants, le ciel, quand il est dégagé, passe du jaune à l’orange au teint vif et net, puis au rose les jours de chance. Aujourd’hui est un jour de chance.

Coucher de soleil sur Oslo

Suivant mon penchant pour l’organisation et l’anticipation, j’arrive à l’aéroport, comme à mon habitude, 1h30 à l’avance. C’est avec un calme relativement inhabituel, mais de plus en plus fréquent (conséquence de ma période junky ?), que j’encaisse la nouvelle suivante : mon avion à 1h de retard. Après avoir dévoré Les Paradis Artificiels de Baudelaire lors de mon dernier voyage, j’entame, pour meubler ces deux heures d’attente, Les Larmes d’Eros de George Bataille, un livre offert deux ans auparavant par mon frère ainé. George Bataille est peu connu du grand public mais ce dernier est un intellectuel doué du XXème siècle, dont l’œuvre multiforme, s'aventure à la fois dans les champs de la littérature, l'anthropologie, la philosophie, l'économie, la sociologie et l'histoire de l'art. Les Larmes d’Eros paraît en 1961. Bataille a plus de soixante ans, il vieillit, il est malade. Il se lance pourtant dans une œuvre pleine de santé jubilatoire, ces Larmes d'Éros, une histoire de la peinture sous le patronage d'Éros et de Thanatos, l'amour et la mort, liés depuis les temps originels, depuis les peintures rupestres jusqu'aux introspections surréalistes. Bataille dévoile une autre histoire de la peinture. Chaque civilisation, chaque courant artistique essaie de surmonter la contradiction du jouir et du mourir, l'idée que la décharge amoureuse est cousine de la mort.

J’arrive à 00h à Helsinki mais mon périple est loin d’être terminé. Marion, soucieuse d’économiser de l’argent en sélectionnant l’auberge la moins chère, n’a cependant pas pris le temps de regarder l’emplacement de cette dernière. Vous être en train de vous dire qu’elle a choisi une auberge en périphérie lointaine, mais détrompez-vous, celle-ci est à quelques centaines de mètre du centre-ville. Mais ce qu’elle aurait constaté en vérifiant son emplacement, c’est que cette dernière se trouve sur une île. Une fois arrivé à l’aéroport il me reste donc un bus de 30 min à prendre puis un ferry de 15 min, sans compter les 40 min d’attente entre les deux. Le tout pour une arrivée à bon port (vous noterez le double sens subtile) autour de 2h du matin.

Je retrouve Marion sur le ferry nous emmenant à l’auberge, pour sa part, elle a passé la journée à Tallinn en Estonie, étant arrivée un jour plus tôt. J’ai moi-même visité la capitale estonienne avant mon installation à Oslo et nous partageons nos expériences sur le trajet. A l’instar de ma personne, elle a grandement apprécié les points d’observation et le côté vallonné de cette Lisbonne baltique. La cathédrale Saint Alexandre Nevsky l’a elle aussi ébloui. On s’accorde à dire que le vieux Tallinn et ses rues étroites est splendide mais qu’une journée suffit à faire le tour de cette ville à taille humaine pour reprendre les termes d’un ami cher qui les avait employés pour caractériser Dublin (en réalité bien plus étendue que Tallinn). C’est avec soulagement que je pénètre dans l’auberge. Je fais mon lit avec soin, j’écris un texto pour rassurer ma petite amie et je m’endors sans autre forme de procès.

Karhu



Réveil à 9h pour une visite, la plus exhaustive possible, d’Helsinki, avant un départ pour la Laponie en train de nuit à 22h. Nous partons de l’auberge à 10h avec Marion, profitant de la beauté de l’île de Suomenlinna, dont l’existence même m’avait épuisé la vieille. Le voyage de 15 min en ferry est bien plus plaisant qu’hier, sur le pont, affublé de mes lunettes de soleil polarisées qui rendent la vie tellement plus belle, je regarde le soleil qui accompagne le chant des mouettes. Un réveil plutôt agréable donc ! Pour cette visite éclair de la capitale finlandaise, Marion, avec l’aide de son Lonely Planet, a préparé un petit programme millimétré. Je me réjouis alors de pouvoir me laisser porter, moi qui suis toujours le guide, l’organisateur et le garde-fou des voyages entre amis. « Mappy » qu’ils me surnomment ! Doux plaisir que de se laisser trainer, mais uniquement dans la confiance d’une organisation impeccable, ce qui est le cas ici. 

L'île de Suomenlinna

Nous commençons par un parcours fléché indiqué dans le Lonely Planet qui couvre l’ensemble des monuments « importants » d’Helsinki. Palais présidentiel, église luthérienne de Tuomiokiekko, opéra, stade olympique, parlement, maison de la musique, nous les écumons d’un pas rapide, n’oubliant pas de prendre le temps de se poser sur le banc d’un parc une fois de temps en temps. Car les monuments d’Helsinki n’ont pas la beauté du paysage de ses parcs en automne. Mon coloc thaïlandais m’a dit qu’il était époustouflé par l’automne en Norvège, et il a de quoi ! Permettez-moi une petite digression sur cette saison, qui a définitivement ma préférence. Si l’hiver à Noël, le printemps Pâques et l’été mon anniversaire (et la fête nationale), l’automne n’a rien. Thanksgiving et Halloween égaye bien les USA et plusieurs pays dans le monde mais en Europe, rien. En Europe, c’est le 11 Novembre. L’automne en Europe n’a que la morosité de son ciel gris et la chute de ses feuilles. Mais j’aime cette morosité. Ayant le cœur sensible et romantique avec une légère tendance à la dépression il faut l’avouer, l’automne est ma saison. Les arbres pleurent des feuilles couleur de sang et mon cœur s’en réjouit. Pour revenir à notre pérégrination, nous l’entrecoupons donc de contemplations sur les beautés de l’automne, si coloré ici dans les pays nordiques. Ayant eu la chance d’avoir vu l’automne perdre ses feuilles jaunes, oranges, rouges et même violettes en Nouvelle Angleterre, je peux dire que les automnes scandinaves n’ont rien à envier au Nouveau Continent. Nous finissons notre « sightseeing » par le parc Sibelius où l’on peut y observer l’œuvre intéressante d’Eila Hiltunen, orgue géant. 

L'automne à Helsinki

Oeuvre de Eila Hiltunen
Orgue géant

A deux pas de l’œuvre, au bord de la mer, se trouve le café Regatta, il est la dernière étape de notre matinée touristique. C’est un petit chalet rouge en bord de mer où l’on peut y faire cuir des saucisses au barbecue soit même et y manger des pâtisseries à la cannelle, faites maison. L’intérieur du café est charmant. Dans un espace de 15 m2 carré, s’entassent sur des étagères des vieilleries allant du moulin à café aux casseroles en cuivre. On y mange sur des tables en bois qui sont en réalité de vieux volets. La musique a des tonalités de chants russes même si on n’y entend aussi des classiques comme un petit Rocket Man d’Elton John.  C’est définitivement à voir si on passe à Helsinki, bien plus que le palais présidentiel si vous voulez mon avis. 

Café Regatta
L'intérieur du café

Le programme de l’après-midi est plus léger et moins précis. Nous prévoyons de vagabonder et de manger dans le quartier « cheep » donc « populaire » d’Helsinki, Kallio. En bon routard que nous sommes (c’est pas mon Lonely Planet je suis pas un traitre), nous trouvons dans notre guide un restaurant local dans le quartier, Pelmenit. Le restaurant, situé au 7 rue Kustaankatu, est tenu par un finnois bedonnant qui nous indique une liste de plats locaux ainsi qu’un buffet à 9.70€. Affamés, nous sautons sur le buffet fait d’une cuisine, pour le coup moyennement locale, faite de purée de pomme de terre, salade de choux, ailes de poulet, et un aliment local que mes connaissance culinaires ne me permettent pas de vous décrire. Après s’être bien restaurés, nous évoquons, par je ne sais quel biais, le thème du christianisme. Je lui explique que depuis peu je développe une réelle haine pour cette religion que je considère être le plus grand fléau de l’histoire de l’humanité. Avant de me sauter dessus, laissez-moi, s’il vous le voulez bien, défendre mon point de vue. Pour ma défense, j’invoquerai le Moyen-Age, période sombre et détestable de notre histoire. Les égyptiens, les grecs et les romains, aux religions polythéistes il est important de la préciser, étaient des civilisations animées par le progrès, que le Moyen-Age a crucifié. Il est affolant de voir le retour en arrière, l’annihilation de tant de progrès, que le Moyen-Age a entrainé, porté il faut le dire par cette religion monothéiste, que tout homme habité par l’évolution, ne peut que rejeter, du moins en partie. L’un des exemples les plus flagrants de cette descente aux enfers est la médecine. Hippocrate et Galien, respectivement Grec et Romain, avaient considérablement développé le domaine de la médecine avant de voir leurs découvertes partir dans les méandres de notre société, au nom du Dieu Unique. Et je n’évoquerai même pas ici les croisades et la suprématie papale corrompue, eux aussi à l’origine de crime contre l’humanité. Non des bavures comme ça c’est l’apanage de l’homme, ce qui l’est moins c’est de ralentir le progrès, et même pire, de faire marche arrière. Je ne rejette pas la religion du dieu unique en blocs et comme dirait Orelsan pour un peu de culture populaire « J’ai du mal à croire la Bible, même si j’aime ses enseignements ».

Revenons à des sujets plus gais et évoquons si vous le voulez bien la suite de notre journée. Nous quittons donc Pelmenit et descendons les pentes de Kallio en direction du port où se trouve le marché couvert d’Hakaniementori. Ce dernier vaut le coup d’œil pour son rez-de-chaussée où vous pourrez trouver votre bonheur pour manger, cependant à l’étage s’entassent des boutiques touristiques. Après en avoir fait un rapide tour, nous revoilà errant dans les rues d’Helsinki. Il est 15h30 et nous décidons qu’il est bien là une heure adéquate pout une ou deux petites pintes. C’est là qu’apparait la première erreur d’organisation de Marion, nous devons revenir sur nos pas puisque les bars « cheep » se trouvent dans le quartier de Kallio. Dans la rue fleminginkatu, nous trouvons le Flemari 13 qui sert un 0.4cl de bière pour 2.5€ de 12 à 19h (puis 2.8€). Contents de notre découverte, nous y entrons, non mécontents d’y trouver un bar accueillant décoré de graffiti, meublé d’un billard dans le fond et passant du Mumford & Sons (The Cave il me semble). La bière, KARHU, est l'équivalent de la 1664 ou de la Heineken mais son design donne bien plus envie. Je dois reconnaitre le bon taff du market sur ce coup là. Sur les canettes et les verres à bières on retrouve la tête d'un ours dans un style qui n'est pas sans rappeler le renne de Jagermeister. Après une pinte, un finlandais remplis de bonnes intentions mais quelque peu étrange, nous accoste par le traditionnel « Where are you from ? ». Ce dernier débite des paroles inaudibles dans un anglais approximatif et surtout démesurément lent. A mesure qu’il me parle, j’absorbe ses paroles avec un regard vide et ailleurs, qu’une personne normalement constituée aurait décelé. Entre temps nous avons le temps de s’enfiler une 2ème pinte. Nous partons à 18h en direction des vieux abattoirs restaurés et réinvestis par des restaurants et des bars dans l’idée d’y diner. L’endroit est désert, surement dû à l’horaire anticipé.  Nous revoyons notre programme et prenons l’initiative de retourner chez Fafa’s, un restaurant de fallafel croisé sur le chemin. Le restaurant est conceptuel et il faut parfois y faire la queue 20 min pour obtenir son saint graal. Que ce soit un fallafel fried eggplant + feta (pour Marion) ou un fallafel goat cheese + pesto (pour moi).

Karhu !!!!

Goat Cheese + Pesto

Nous sortons du restaurant à 19h30 et nous pressons le pas devant faire l’aller-retour en ferry pour récupérer nos valises avant de prendre le train à 21h52. Même si Marion avait tari mes ardeurs quant au fait que le train serait un train couchette, c’est tout de même avec déception que je constate que 13h de train nous attendent, assis dans des fauteuils, lumières allumées. Après s’être fait déloger de notre carré de 4 où nous avions l’intention d’étendre nos jambes, nous prenons nos quartiers dans le wagon bar qui a des vrais airs de restaurant comme dans le film Before Sunrise. A 1h le restaurant ferme et les différents clients quittent l’endroit, nous pouvons donc nous allonger sur les banquettes. Marion geek un peu sur son portable profitant du wifi dans les trains (comme en Norvège) pendant que j’écris ces quelques lignes. Puis vers 2h je tente de fermer l'oeil.  

Moi je vais dormir à droite !